Ce que la thérapie manuelle peut et ne peut pas faire

8 mins de lecture. Posté dans Autre
Un article de Dr Jarod Hall info

Mobilisation, manipulation, dry-needling, massage, relâchement myofascial, GuaSha, Jones StrainCounterstrain, fasciathérapie, mobilisation des tissus mous assistée par instrument, technique de libération active, effleurage, scraping, etc. Il existe tant de types de thérapies manuelles différentes que l’on peut vite se retrouver perdu, angoissé par son manque d’expertise, et facilement dépouillé de son argent à force de vouloir toutes les maîtriser. Chacune de ces thérapies manuelles tend à se focaliser sur des problèmes tissulaires différents et un bon nombre d’entre elles se vantent souvent d’avoir leur propre secret pour traiter les dysfonctionnements du système musculosquelettique.

Certaines de ces techniques vous ont été enseignées à l’école, tandis que d’autres sont des techniques de « niveau supérieur ». Certaines sont même protégées par une marque déposée et ne sont enseignées qu’à partir d’un certain niveau d’expérience. Il n’est pas rare de voir les représentants de ces approches de thérapie manuelle affirmer que leur technique pourrait résoudre tous les problèmes tenaces des patients qui ne parviennent pas à s’améliorer.

Il est certain que la thérapie manuelle est un sujet attrayant et constitue un outil de travail valorisé dans le monde de la médecine physique. Cette capacité à poser ses mains sur la douleur d’une personne et pouvoir réaliser un changement à court terme pour la soulager a un impact extrêmement puissant. Chacun de nous, intervenant dans le domaine de la médecine physique, ne souhaite rien de plus qu’aider les patients à se débarrasser de leur douleur et à reprendre les activités qu’ils apprécient le plus. La grande question est donc de savoir ce qu’il se passe réellement lorsque l’on réalise une intervention de thérapie manuelle et si celle-ci a réellement l’effet que l’on prétend. Alors, qu’est-ce que la thérapie manuelle peut et ne peut pas faire ?

 

Ce que la thérapie manuelle ne peut pas faire

  • Palper avec précision et fiabilité les défauts de position et de mouvement :
    • Bahram Jam et son équipe ont rédigé un article à ce sujet en citant plusieurs sources (1).
  • Déterminer avec précision et fiabilité quel tissu est « la cause de la douleur » :
    • La douleur est beaucoup plus complexe que ce qui se passe au niveau des tissus. Pour approfondir le sujet, lisez les deux livres suivants : Explain Pain et MakingSense of Pain.
  • Allonger / étirer / déformer les tissus conjonctifs tels que les muscles, les tendons, les ligaments et les fascias :
    • De nombreuses données montrent que même avec des étirements agressifs pendant des semaines, voire des mois, il est TRÈS difficile, voire presque impossible, de modifier la longueur des muscles ou les contractures chez les adultes (2, 3, 4, 5).
    • Des preuves solides démontrent la grande solidité de nos tissus conjonctifs (6, 7, 8, 9, 10, 11).
  • « Relâcher les muscles » :
    • Que signifie « relâcher » un muscle ? S’agit-il d’un changement de longueur ? S’agit-il d’un changement de tonus neuronal ? Nous devons d’abord définir et convenir de ce qu’est le « relâchement » avant de pouvoir l’étudier de manière fiable. Une fois que nous nous sommes mis d’accord sur cette notion, nous devons déterminer une mesure valide qui puisse nous fournir des données fiables sur la possibilité ou l’impossibilité de provoquer un changement. En attendant, nous nous contentons d’utiliser un jargon thérapeutique qui n’a pas de réelle signification.
  • Remettre les articulations en place :
    • Certes, nous pouvons remettre manuellement en place des articulations luxées. Toutefois, dans le cadre de la thérapie manuelle, cela relève davantage du modèle de subluxation vertébrale, qui n’a pas encore été prouvé après plus de 100 ans, et des concepts encore trop courants des kinésithérapeutes et ostéopathes de « côte coincée » et de bassin désaligné en raison de l’articulation sacro-iliaque qui serait « sortie ». Vous pouvez visionner une vidéo de 30 minutes que j’ai réalisée sur le thème de l’évaluation et de la « correction » de l’articulation sacro-iliaque en cliquant ici.

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Ce que la thérapie manuelle peut faire

  • Induire des effets biomécaniques périphériques transitoires :
    • Cela s’explique par le fait qu’il est nécessaire d’appliquer une force mécanique pour initier une chaîne de réponses neurophysiologiques qui produisent les résultats associés à la thérapie manuelle.
    • En théorie, nous pouvons être en mesure d’induire une réduction temporaire de la sensibilité des mécanorécepteurs périphériques par le biais d’un toucher léger.
  • Améliorer temporairement la mobilité et diminuer la douleur en modifiant les afférences nociceptives jusqu’à la moelle épinière/le cerveau :
    • En termes simples, il s’agit de la théorie du gate control, introduite pour la première fois par Melzack et Wall dans cet article.
    • Il n’y a rien de bien extraordinaire à cette théorie : si vous vous cognez le tibia contre une table basse, que vous le frottez immédiatement après et que vous vous sentez un peu mieux, vous avez effectué une thérapie manuelle efficace et réveillé des interneurones au niveau de la corne dorsale de la moelle épinière.
    • Dans certains cas, il peut y avoir une valeur perçue significative dans le fait de réduire temporairement la douleur d’une personne pour lui permettre de reprendre un exercice plus confortablement. En effet, cela permet de prouver au patient que sa douleur est modifiable et ouvre la voie à une discussion sur la sensibilité des tissus par rapport aux lésions tissulaires.
  • Améliorer l’alliance thérapeutique et aider à établir un rapport avec le patient :
    • La thérapie manuelle n’est pas nécessairement indispensable pour établir un rapport avec le patient ou renforcer l’alliance thérapeutique. Cependant, la thérapie manuelle a tendance à soulager la douleur à court terme (comme mentionné ci-dessus), ce qui peut renforcer la confiance patient-thérapeute ainsi que la confiance que le patient a en sa propre capacité à aller mieux.
    • De plus, à l’heure actuelle, la thérapie manuelle est vue comme utile aux yeux de la majorité de la population.
    • En tenant compte des préférences et des attentes des patients, ainsi que de « l’effet de toilettage », un contact physique réalisé dans un environnement de soins intime et de confiance peut souvent être un moyen de créer une alliance, de la confiance et de la compréhension.
  • Modifier l’activation des régions supraspinales impliquées de manière prépondérante dans l’expérience de la douleur :
    • Cela semble assez complexe, mais ce n’est en fait qu’une partie de l’effet placebo, ou de la réponse de sens (« meaningresponse »), comme on commence à l’appeler (12, 13, 14).
    • Un argument éthique fort pouvant être avancé est celui de l’exploitation des aspects à la fois non spécifiques et indirects de l’interaction patient-praticien afin de maximiser l’effet du traitement, notamment pour des expériences subjectives telles que la douleur.

Cette liste n’est sans doute pas un compte rendu exhaustif de toutes les façons par lesquelles la thérapie manuelle peut ou ne peut pas avoir un effet et influencer la douleur. Il est réaliste de penser que plusieurs de ces aspects n’ont qu’un rôle très mineur dans la modulation de la douleur. Il existe probablement de nombreux autres mécanismes, que nous n’avons pas encore découverts ou qui n’ont pas encore été mesurés par des études bien menées, et qui pourraient expliquer comment la thérapie manuelle agit sur le système dynamique qu’est un être humain souffrant d’une douleur, intégré dans un environnement spécifique.

Ne me méprisez pas : je n’essaie pas de dire qu’il ne faut plus utiliser la thérapie manuelle, car il est régulièrement démontré qu’elle a des effets bénéfiques et il s’agit d’une pratique que de nombreux patients attendent dans le cadre de leurs soins. Je dis cependant que les aspects biomécaniques de la thérapie manuelle que l’on vous a probablement enseignés et sur lesquels vous éduquez vos patients sont au mieux inexacts et au pire nuisibles. Vous risquez de créer un effet nocebo en véhiculant l’idée d’un corps faible et fragile qui ne peut pas facilement résister aux forces de la vie quotidienne sans se « dérégler ». Prendre du recul pour comprendre ce que la thérapie manuelle peut et ne peut pas faire est utile, non seulement pour votre propre pensée critique et votre raisonnement clinique, mais aussi pour les patients avec lesquels vous interagissez tous les jours.

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