Le phénomène de « guérison » du LCA : mythe ou réalité ?
Jusqu’à il y a environ 8 ans, j’étais encore dans l’indécision en ce qui concerne la prise en charge des déchirures du ligament croisé antérieur (LCA), et même en tant que kinésithérapeute sénior titulaire d’un master, la chirurgie était pour moi le « gold standard », du fait que c’était tout ce que j’avais lu et vu jusqu’alors.
Lors de ma formation de spécialisation en kinésithérapie, j’ai été confronté à 2 cas opposés que j’ai vus à la suite et qui m’ont forcé à remettre en question les biais que j’avais et à me pencher sur les meilleures publications scientifiques (1).
L’une de ces patientes avait subi cinq opérations du LCA, et s’était présentée à la clinique en déambulateur à quatre roues, ce qui est extrêmement inhabituel pour une personne d’une trentaine d’années. Elle était stressée, déprimée, anxieuse, suicidaire, et n’avait clairement pas reçu d’éducation et de rééducation post-opératoires supervisées et adéquates durant ces quatre années d’opérations.
La deuxième patiente s’était présentée avec une lésion du LCA et du ménisque, et tenait à initier la rééducation sans chirurgie, car ses coéquipières avaient elles-mêmes subi des chirurgies du genou qui avaient échoué. Nous avons donc élaboré un plan de traitement dans le cadre d’une décision partagée, entrepris la rééducation et elle a pu reprendre le sport à 4 mois en restant sans symptôme sur le suivi à long terme.
Cela m’a poussé à remettre en question le consensus autour de la chirurgie du LCA comme étant la « meilleure pratique ». J’ai ainsi passé des centaines d’heures à étudier les preuves les plus probantes sur le sujet avec l’aide de chirurgiens, de kinésithérapeutes, de chercheurs et de cliniciens experts. J’ai découvert que la culture occidentale était influencée par un discours unilatéral présentant la chirurgie du LCA comme le meilleur premier choix ; ce discours étant basé sur d’anciens paradigmes patho-anatomiques bio-plausibles, et poussé par une ruée vers l’or mondiale représentant plusieurs milliards de dollars par an et perpétuellement financée par les gouvernements, les compagnies d’assurance privées et les secteurs hospitaliers privés, reléguant les patients et les meilleures preuves scientifiques au second plan (2).
Depuis lors, le LCA a pris énormément d’importance dans ma pratique, puisque j’ai pu voir des milliers de ruptures complètes prises en charge sans chirurgie, dont des patients qui sont retournés à des hauts niveaux d’activités de pivots, de sauts, et de changements de direction.
Les ruptures du LCA peuvent-elles guérir ?
Au cours des trois dernières années, mon approche de prise en charge a connu un tournant, en raison d’une prise de conscience croissante de la capacité de guérison des ruptures du LCA. Je vois régulièrement des ruptures complètes guérir, avec confirmation par IRM. Il s’agit pour moi d’un bouleversement dans le raisonnement clinique et la prise en charge des ruptures du LCA. Une recherche rapide sur Google suggérera directement que les ruptures du LCA ne guérissent jamais, que le ligamentest mal irrigué et qu’une intervention chirurgicale est nécessaire pour reprendre le sport.
De nouvelles enquêtes ont révélé que le contenu de la publicité chirurgicale en ligne des groupes orthopédiques privés destinée aux patients est souvent mensonger ou trompeur (3, 4), surestimant les avantages de la chirurgie et sous-estimant les inconvénients (5), des appels ayant été lancés pour que les organismes de réglementation interviennent. On devrait se demander où s’arrêtera l’obsession de l’expérimentation en matière de ligamentoplastie, avec par exemple la mise en avant de tendons de kangourou et de nanoparticules d’or (6, 7).
Une revue systématique a montré que les ruptures complètes du LCA PEUVENT guérir, avec des stratégies de prise en charge incluant le port d’attelle, la rééducation et le renforcement, voire aucune prise en charge (8, 9). En renversant le poids de la preuve, les auteurs ont mis en évidence le fait qu’il n’existe aucune étude de haute qualité montrant que le ligament ne peut pas guérir ! Lors d’un débat national sur la prise en charge des déchirures du LCA auquel j’ai participé à la fin de l’année 2021, les kinésithérapeutes, les chirurgiens chercheurs et les cliniciens experts ont convenu que les déchirures du LCA pouvaient guérir. Des données pilotes provenant d’Australie et publiées en 2022 ont été discutées, avec plus de 90% des ruptures complètes du LCA guérissant grâce à un nouveau protocole de contention, permettant un retour au sport sur le long terme.
L’étude novatrice KANON a révélé que 58 % de ceux qui n’ont pas opté pour la chirurgie avaient une cicatrisation prouvée par IRM après 5 ans de suivi (10). Des taux de cicatrisation élevés ont également été prouvés dans les ruptures partielles avec l’utilisation d’un protocole de contention (11). Le LCA normalisé, anatomique, partiel, allongé et non anatomique (comme les faisceaux proximaux du LCA s’attachant au LCP) sont tous des types possibles de cicatrisation (12, 13, 14). Le chirurgien orthopédique Andrea Ferretti a déclaré que le « LCA est pourvu d’un système sanguin riche en vaisseaux et en anastomoses, fournissant un approvisionnement adéquat à tous les types et sites de déchirures », d’autres ayant récemment suggéré une augmentation de l’approvisionnement en sang à la suite d’une blessure au LCA (15, 16).
Prise de décision partagée
La prise de décision partagée est essentielle ici (17), ce qui signifie que les patients doivent être informés que leur déchirure du LCA peut ou non guérir dans le cadre de leurs options de traitement, même si je crains que ce ne soit encore qu’une utopie dans notre ère de « médecine fondée après les preuves » (18, 19). En 2021, une de mes patientes a vu un médecin spécialiste qui l’a informée qu’une « bombe avait explosé dans son genou », que son « genou avait explosé » et que sa « seule option et solution était la chirurgie » : elle souffrait d’une déchirure partielle du ligament croisé antérieur – un vrai nocebo.
Comme on pouvait s’y attendre, elle a fondu en larmes et a pris rendez-vous pour une reconstruction la semaine suivante, sous contrainte de la peur. Par hasard, elle a pu entrer en contact avec moi, nous avons commencé un protocole de stabilisation, avec une IRM de suivi montrant une cicatrisation presque intacte du ligament ; elle est retournée au football semi-professionnel sans opération et, après un suivi à long terme, elle est incroyablement satisfaite de sa décision d’avoir attendu et pu examiner ses options.
Figure 1 : patient de 28 ans présentant une lésion du LCA avec une IRM à une semaine, et suivi à long terme (Park et al. 2021)
D’après mon expérience, la plupart des patients ne bénéficient pas d’un processus objectif de prise de décision partagée. Cela demande du temps (plus qu’une consultation de 15 minutes), de l’attention, de l’empathie et l’autonomisation des patients avec les meilleures recommandations actuelles, des aides éducatives, des infographies et des ressources (20, 4). La communication doit être calme, impartiale et honnête, et les risques, les inconvénients et les avantages potentiels de toutes les options thérapeutiques doivent être clairement exposés. Une étude de cohorte à long terme de niveau 2 a révélé des taux incroyablement élevés de nouvelles lésions du genou, deux patients opérés sur trois subissant d’autres lésions après avoir repris le sport (2) ; ces types de patients étant souvent amenés à croire que la chirurgie est un « billet à sens unique » pour reprendre le sport (22).
Les études de mauvaise qualité méthodologique, qui comparent rétrospectivement la ligamentoplastie et la rééducation à des groupes témoins non contrôlés ou absents, et les théories mécanistes telles que « un LCA greffé agit comme un LCA normal » ne peuvent pas être utilisées pour justifier une reconstruction précoce (23). Une idée fausse très répandue est que la reconstruction du LCA permet d’éviter des taux plus élevés de déchirures méniscales par rapport à une prise en charge non chirurgicale (24). Cependant, ces preuves sont considérées comme trop faibles pour guider les décisions de traitement chirurgical (25). L’étude KANON et maintenant l’étude de contrôle randomisée COMPARE ont montré des taux de déchirures méniscales similaires au fil du temps, COMPARE montrant en fait une probabilité de subir une chirurgie méniscale future plus importante chez les patients opérés du LCA (26, 27).
Qui doit être opéré ?
Nous devons informer tous les patients que les données les plus empiriques ne montrent aucun avantage supplémentaire de la reconstruction du LCA, de la méniscectomie ou de la réparation méniscale par rapport à la rééducation seule pour les patients souffrant de lésions du genou, aucune étude de haute qualité ne prouvant la supériorité de ces techniques par rapport à la thérapie par l’exercice ou à la chirurgie placebo (28). Un professeur de chirurgie orthopédique m’a confié qu’il disait aux patients souffrant de lésions du LCA et du ménisque « d’aller faire 6 à 12 mois de rééducation du genou » et qu’il les « opérerait ensuite s’ils n’étaient pas satisfaits » parce qu’il « ne peut pas leur promettre que leur genou sera meilleur à long terme s’il a été opéré tôt ».
Cela ne veut pas dire que la ligamentoplastie n’est pas une option viable pour les patients qui présentent des épisodes récurrents d’instabilité sévère, malgré un protocole de stabilisation de haute qualité administré précocement. J’ai réitéré ce point lors d’interviews dans les médias, et j’ai un réseau collégial de chirurgiens orthopédistes avec lesquels je collabore et partage des points communs dans la gestion des douleurs et des blessures musculo-squelettiques.
La kinésithérapie au premier plan de la prise en charge du LCA
Je crois au fait que les kinésithérapeutes peuvent être les leaders de la prise en charge des lésions du LCA dans un premier rôle de triage, ce qui a été mis en œuvre avec succès dans les changements de politique de soins primaires des blessures et douleurs musculo-squelettiques, dans des pays comme le Danemark et le Royaume-Uni, ce qui pourrait apporter de nombreux avantages pour les gouvernements, les assureurs privés, le système médical, les patients, et les praticiens à la fois (29).
Kiadaliri et al (2016) suggèrent que des économies de plus de 20 000 dollars australiens par patient pourraient être faites grâce à une réorientation fiduciaire vers une approche axée sur la kinésithérapie, avec une réduction de la consommation des ressources et une diminution du risque de surtraitement inutile, même en gardant l’option de la chirurgie si nécessaire (30). Au niveau interprofessionnel, nous devons tous travailler ensemble pour concevoir de vastes essais multicentriques afin d’évaluer la capacité de guérison des ruptures du LCA dans différents groupes démographiques, de sorte que les patients puissent être triés tôt et que des sommes d’argent importantes soient économisées. Si seulement cela avait été fait il y a 60 ans, lorsque la théorie selon laquelle les ruptures du LCA ne peuvent pas guérir a été propagée sur la base de modèles animaux !
Conclusion
En tant que profession, nous ne serons jamais contre la chirurgie. En revanche, nous devons représenter les patients en tant qu’experts non chirurgicaux confiants, en exposant les meilleures preuves comparatives de l’exercice comme seul traitement pour les ruptures du LCA et du ménisque, par rapport à la chirurgie et l’exercice. Si nous ne le faisons pas, qui le fera ?
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