L’art d’évaluer les patients, expliqué

7 mins de lecture. Posté dans Autre
Un article de Eric Bowman info

Un bon ami et collègue m’a récemment demandé comment je faisais pour être à la fois efficace et complet lors de l’évaluation d’un patient. Comme je l’ai évoqué dans ma série « Mes erreurs dans l’application de l’approche biopsychosociale – Partie 1 et Partie 2 », ce n’est pas une tâche facile. Pendant une évaluation, vous devez :

  • Écouter le patient,
  • L’observer,
  • Établir un lien,
  • Écarter les drapeaux rouges et les pathologies tissulaires sérieuses,
  • Ébaucher un plan de traitement,
  • Réaliser un traitement manuel (dans la plupart des cas).

Les choses peuvent rapidement devenir complexes si on y ajoute des facteurs psychosociaux, des barrières linguistiques, plusieurs zones douloureuses, diverses comorbidités physiques, ou encore des attentes et idées préconçues. La vraie question est donc : comment concilier rigueur, efficacité et exhaustivité ? Bien qu’il n’existe pas une seule réponse, il me semble essentiel de poser deux éléments : les attentes et les priorités.

 

Établir les attentes

Cela s’applique aussi bien au thérapeute qu’au patient. Il est essentiel que le thérapeute, ou le secrétariat, communique les attentes de base, telles que :

  • Le lieu du rendez-vous (surtout si vous travaillez sur plusieurs sites),
  • La durée de la consultation,
  • Le déroulement approximatif de la séance,
  • La tenue vestimentaire ou les documents à fournir,
  • Le coût,
  • Les considérations particulières (parking, accessibilité, etc.).

Deux revues de littérature Physio Network récentes évoquent aussi les attentes des patients :

  1. La revue de Ben Cormack met en avant des attentes clés chez les patients présentant des douleurs musculosquelettiques : comprendre ce qu’ils ont, savoir combien de temps cela prendra, ce qu’ils peuvent faire eux-mêmes, et ce que vous (le thérapeute) pouvez faire pour les aider ;
  2. La revue de Sarah Haag identifie des éléments qui renforcent l’efficacité des exercices, tels que la confiance, l’assurance, la motivation, le sentiment de connexion, etc.

Concernant les attentes du patient, j’aime simplement demander : « Qu’attendez-vous de moi ? » ou « Qu’espérez-vous retirer de cette séance ? » Certaines attentes sont évidemment irréalistes — par exemple, légalement et éthiquement, une évaluation est obligatoire lors du premier rendez-vous, donc le patient ne peut pas s’attendre à être directement traité dès les premières minutes (d’où l’intérêt d’un mail ou message introductif). En outre, il n’est probablement pas réaliste pour un patient de s’attendre à ce que son problème soit résolu dès la première séance. En revanche, il est important de répondre à des attentes réalistes, comme :

  • Recevoir un traitement manuel,
  • Répondre à des demandes spécifiques. Certains me détesteront, mais est-ce vraiment grave de faire 5 minutes d’ultrasons si cela permet ensuite au patient d’adhérer au reste ?
  • Répondre aux questions. De nombreux patients posent beaucoup de questions lors du premier rendez-vous. Cependant, au moins 9,5/10 d’entre eux sont tout à fait d’accord avec le fait de ne pas recevoir beaucoup de traitement manuel s’ils ont beaucoup de questions.

Si vous ne pouvez pas tout faire ou tout évaluer pendant la première séance, dites-le tout de suite au patient. Notez ce qui reste à faire dans une to-do list et planifiez les bilans à venir.

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Établir les priorités

Les priorités peuvent être structurées selon un schéma général que j’ai décrit ci-dessous.

1- Écarter les drapeaux rouges et les pathologies tissulaires sérieuses

La priorité absolue en kinésithérapie est d’éliminer les drapeaux rouges (ex. cancer, infection) et les pathologies tissulaires graves (ex. fracture, luxation, rupture du LCA, radiculopathie lombaire nécessitant une chirurgie). Aucun exercice ou discours sur la douleur ne peut traiter un cancer osseux. Rien d’autre ne compte tant que ces diagnostics ne sont pas écartés.

2- Définir les objectifs du patient

Si nous avons affaire à plusieurs objectifs et/ou parties du corps, je demande quelles sont les priorités du patient afin d’éclairer ma structure d’évaluation. Cela peut s’avérer utile dans les cas de douleurs multisites, ainsi que pour les patients qui ont un mode de vie très actif et qui ne peuvent pas s’engager à rééduquer cinq parties du corps à la fois. Petit rappel tiré de la revue de Ben Cormack : les patients veulent savoir ce qu’ils ont et combien de temps la guérison prendra. Veillez à ce que ces questions soient abordées en premier lieu !

3- Déterminer les tests à effectuer

Une fois les drapeaux rouges et pathologies tissulaires graves écartés, la valeur des tests spécifiques diminue. La recherche a remis en question leur pertinence en rééducation musculosquelettique, sauf pour les clusters de tests (1,2). Demandez-vous : ce test changera-t-il quelque chose dans la prise en charge médicale ou en rééducation ? Par exemple :

  • Le test de Lachman ou le tiroir antérieur a beaucoup de valeur en cas de rupture du LCA avec laxité / instabilité ;
  • En revanche, le Clarke’s sign pour une douleur fémoro-patellaire n’est pas vraiment utile : que le test soit positif ou négatif, cela change-t-il vraiment votre traitement ?

Voici les tests spécifiques que j’utilise souvent :

  • Un bilan neurologique (dermatomes, myotomes, réflexes, signes médullaires) en cas de suspicion de radiculopathie,
  • Des tests ligamentaires en cas de suspicion d’entorse / de rupture,
  • Des tests positionnels (ex. Empty Can Test pour l’épaule), utiles pour l’éducation du patient sur les mouvements à favoriser ou éviter.

Je pense qu’il est important de faire preuve de parcimonie avec les tests spéciaux, car en faire trop peut entraîner des problèmes tels qu’une poussée de douleur, des résultats positifs multiples qui alourdissent votre plan de prise en charge, et une réduction du temps consacré au traitement. S’il existe un outil d’évaluation que vous souhaitez utiliser mais qui n’est pas urgent, vous pouvez le remettre à plus tard. Il peut s’agir, par exemple, de questionnaires, de tests de force plus sophistiqués (par exemple, la répétition maximale d’un lever de mollet sur une seule jambe) et de tests de tolérance spécifiques à une activité (par exemple, le test de marche de six minutes).

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PETITE NOTE : J’aime bien les questionnaires de dépistage, mais à force d’écouter des podcasts, on finit par vouloir dépister tout : facteurs psychosociaux, alimentation, sommeil… Ce n’est pas une mauvaise idée en soi, mais cela peut devenir très chronophage, pour vous comme pour le patient, et vous éloigner des raisons réelles de sa venue (cf. les 4 points de la revue de Ben Cormack !). Une fois les drapeaux rouges et pathologies graves exclus, ces outils peuvent être la « cerise sur le gâteau » et être réservés pour plus tard. Dans les rares cas où j’utilise des questionnaires plus détaillés, je les envoie souvent au patient pour qu’il les remplisse à son rythme chez lui.

 

Conclusion

Bien sûr, beaucoup de choses relèvent du jugement clinique, et il n’existe pas de recette toute faite pour chaque évaluation (même si on le souhaiterait). Mais il reste essentiel de prioriser l’évaluation en fonction du raisonnement clinique et des attentes du patient. J’espère que cet article vous aura aidé à mieux gérer l’équilibre entre efficacité et exhaustivité dans vos évaluations. Comme toujours – merci pour votre lecture !

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