Pourquoi la kinésithérapie ne fonctionne-t-elle pas chez certains patients et comment minimiser cet échec ?

14 mins de lecture. Posté dans Autre
Un article de Eric Bowman info

En début d’année, j’ai lu un excellent travail d’Adam Meakins sur le concept d’échec des patients en kinésithérapie (1). Ce travail était excellent, mais j’aimerais l’approfondir. Dans cet article, j’aborde les points suivants : 1. La kinésithérapie ne fonctionne-t-elle réellement pas chez votre patient ? et 2. Comment pouvez-vous améliorer l’alliance thérapeutique et l’adhésion de vos patients afin de réduire la probabilité que la kinésithérapie échoue ?

 

La kinésithérapie ne fonctionne-t-elle réellement pas chez votre patient ?

Il peut être facile de penser que votre patient ne va pas mieux lorsque sa douleur n’a pas changé depuis une ou deux séances. Mais avant de céder à la panique, il convient de se pencher sur les points suivants :

1) Des attentes et des objectifs réalistes ont-ils été fixés ?

Ce qui peut être difficile, c’est de faire face à des patients qui ne seront satisfaits que s’ils obtiennent une guérison complète dès le premier jour. Or, tout comme nous attendons d’un médecin qu’il nous donne des attentes réalistes concernant les suites d’une infiltration ou d’une chirurgie, il est préférable de faire preuve de pragmatisme dès le départ plutôt que d’avoir des patients déçus par la suite. Ce que je dis aux patients dans la plupart des cas, c’est, « je ne peux pas garantir que vous n’aurez plus de douleur et que vous serez complètement rétabli, étant donné que la douleur persiste depuis un certain temps, mais je pense que vous constaterez une amélioration significative des symptômes et de la fonction ».

2) Les délais sont-ils réalistes ?

Pour certaines pathologies, il faut compter au moins un an pour obtenir une guérison complète, voire une amélioration significative des symptômes. Cela peut être très difficile à accepter pour les patients, mais il faut être réaliste, sinon certains patients risquent d’abandonner le traitement s’ils ne sont pas « rétablis » en une ou trois visites.

Cela dit, il faut également prévoir des délais pour constater de petites améliorations progressives en cours de route. D’après les données disponibles et mon expérience, ces délais peuvent généralement varier :

  • Amplitude de mouvement : principalement d’une séance à l’autre
  • Force : de 2-3 semaines à 1-3 mois
  • Douleur : de 1 à 2 séances à plusieurs mois (ou plus).

Il est essentiel de fixer des objectifs plus petits en cours de route et de prévoir des périodes déterminées pour les mesurer afin de continuer à encourager les avancées du patient tout au long du processus.

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3) Vous intéressez-vous à la fonction ou seulement aux symptômes ?

Soyons réalistes : nombreux sont ceux qui considèrent la toute puissante échelle de douleur et le nombre de patients sans douleur comme les principaux (voire les seuls) indicateurs de réussite. Cette attitude peut toutefois s’avérer très réductrice, en particulier pour les patients qui se remettent d’une longue pathologie.

Il est assez courant, en particulier dans les cas chroniques, de constater des améliorations fonctionnelles (c’est-à-dire une amélioration de la force, de la tolérance à l’activité) avant d’obtenir des améliorations significatives de la douleur. Cet aspect doit également être mentionné et mesuré. Il est également important de mentionner que certains patients n’ont pas de limitations fonctionnelles et souhaitent simplement que leur douleur diminue. Cela ne pose pas de problème tant que les objectifs sont réalistes.

Avant de paniquer, prenez le temps de réfléchir aux aspects mentionnés ci-dessus, et vous vous rendrez peut-être compte que vos patients sont plus sur la bonne voie que vous ne le pensez.

 

Que se passe-t-il si j’ai fixé des objectifs, des attentes et des délais réalistes et que mon patient ne va toujours pas mieux ?

La question à 1 million d’euros est la suivante : le patient respecte-t-il le plan de traitement ?

Option A – Il ne respecte pas le plan

De nombreux facteurs peuvent être à l’origine de cette situation, notamment :

1) Une mauvaise alliance thérapeutique

Cela peut être lié à un manque de confiance du patient envers le thérapeute, à un manque de confiance du thérapeute en lui-même, et/ou au fait que le patient se sente bousculé, rejeté ou ignoré. Malheureusement, la nature de la pratique clinique peut parfois contribuer à ce dernier point. Il est essentiel de ralentir, d’écouter réellement le patient et d’avoir l’air sûr de soi.

2) L’approche thérapeutique ne correspond pas aux objectifs et aux attentes du patient

Les patients doivent comprendre le « pourquoi » des traitements et la manière dont ils correspondent à leurs objectifs. J’aime que les patients me demandent pourquoi ils font certains exercices ou l’utilité de certaines techniques de thérapie manuelle, car cela me permet d’aligner mon travail avec leurs objectifs. Si les patients ne comprennent pas le « pourquoi », il faut s’attendre à ce qu’ils n’adhèrent pas au traitement.

Il est essentiel d’avoir des attentes réalistes en ce qui concerne le résultat final, mais aussi en ce qui concerne le processus. Si un patient arrive en s’attendant à recevoir des ultrasons, du laser et de l’acupuncture, mais qu’il se retrouve avec de l’exercice, une sensibilisation aux sciences de la douleur et des recommandations pour changer de mode de vie, cela posera un gros problème. Il faut faire des compromis (dans la limite du raisonnable) et informer le patient de ce qui est dans son intérêt. Est-ce si grave que cela de donner au patient cinq minutes de traitement passif si l’on peut aussi lui proposer de l’exercice, de l’éducation, du réconfort et des stratégies d’autogestion ?

Comme l’explique Mike Studer dans sa Masterclass sur l’économie comportementale et les techniques psychologiques (lien ici), il faut parfois donner au patient ce qu’il veut pour pouvoir lui donner ce dont il a besoin.

3) Le programme ne correspond pas au mode de vie du patient

Bien que je sois avant tout un kinésithérapeute axé sur l’exercice et l’éducation, je suis stupéfait lorsque je reçois un patient qui a consulté un autre kinésithérapeute qui lui a donné dix exercices sans que le patient ait eu son mot à dire. Pour la plupart des patients non opérés et non fracturés, je suis partisan de 1 à 3 exercices ciblés qui sont faciles à intégrer (c’est-à-dire qui peuvent être faits assis ou debout, sans équipement sophistiqué).

Par exemple, une fente ou un split squat avec un contrôle excentrique renforce les fessiers et étire les fléchisseurs de hanche sans qu’il soit nécessaire de faire deux exercices distincts.

Cela va dans le sens de la Masterclass de Mike Studer mentionnée ci-dessus, et bien que cela ne soit pas toujours parfait, les exercices devraient être relativement pratiques dans la mesure du possible.

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Les thérapeutes et les patients doivent collaborer étroitement. J’essaie toujours de demander si c’est « trop ou pas assez » lorsque je fais des exercices le premier jour.

Il est également important de comprendre que certains patients ne sont pas toujours en mesure, du point de vue de leur mode de vie, de s’engager à suivre un programme de kinésithérapie. Si un patient est occupé par un travail physique ou un sport qui aggrave ses symptômes et qu’il n’a pas le temps ou l’énergie de faire des exercices, il sera beaucoup plus difficile d’obtenir un résultat positif. Certains ne seront peut-être pas d’accord, mais je préfère être franc avec les attentes plutôt que de voir un patient (et un thérapeute) perdre du temps et de l’argent pour n’aboutir à rien.

4) Est-ce intolérable ou trop facile ?

Parfois, vous ne pourrez pas éviter la douleur avec vos patients, mais si un patient revient et dit qu’il a eu une poussée pendant deux jours après avoir essayé les exercices, vous devrez peut-être faire quelques ajustements pour qu’il reste sur la bonne voie et que les symptômes restent dans une fourchette acceptable.

Il arrive que certains patients soient irrités par tout ce qu’ils font, quelle que soit la quantité d’exercices qu’ils effectuent ou la douceur avec laquelle ils les effectuent. Je n’aime pas entendre les patients se dire « j’ai trop mal pour faire de la kiné aujourd’hui », mais si un patient est hypersensible, qu’il s’enflamme facilement et qu’il présente des facteurs psychosociaux, il se peut qu’il faille d’abord s’attaquer à ces facteurs avant que la thérapie ne soit efficace.

À l’inverse, un programme de rééducation peut être trop facile et le patient peut ne pas y adhérer, ou il peut ne pas être suffisant pour préparer le patient à des activités physiquement exigeantes. Par exemple, des ponts fessiers de base ne permettront pas à un patient souffrant d’une élongation ou d’une tendinopathie des ischio-jambiers de reprendre le sprint ou la gymnastique.

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Option B – Le patient respecte le plan de traitement

Dans ce cas :

1) Le traitement est-il en adéquation avec les objectifs du patient ?

Améliorer l’amplitude de mouvement de l’épaule est une bonne chose, mais si l’objectif de la patiente est de pouvoir porter son enfant, elle n’a probablement pas besoin d’une flexion et d’une abduction de l’épaule à 180 degrés. L’accent doit être mis davantage sur la force et la tolérance à la charge.

2) Est-ce trop difficile / trop facile / trop douloureux ?

Même principe que ci-dessus !

*Note – avant d’aborder les deux points suivants, il est essentiel pour moi de partager la Masterclass de Tim Mitchell intitulée « Un plan pour optimiser l’interrogatoire du patient et les résultats cliniques » (lien ici), car une grande partie de ce qui est couvert dans cette Masterclass se rapporte aux points 3 et 4 ci-dessous.

3) Le diagnostic est-il correct ?

Il arrive que d’autres diagnostics passent inaperçus. Cela arrive de temps en temps et cela m’est arrivé. J’ai eu un patient chez qui on soupçonnait une hernie discale, qui a commencé à régresser et chez qui on a diagnostiqué plus tard (par imagerie) un kyste qui nécessitait une prise en charge médicale. Bien que je ne sois pas partisan d’une utilisation excessive de l’imagerie, celle-ci a sa place, en particulier si le patient régresse ou si les choses ne semblent pas claires.

Il y a aussi des cas, et cela m’est arrivé plusieurs fois au cours de ma carrière, où un résultat d’imagerie significatif (par exemple, un corps étranger, un ligament déchiré) apparaît à l’IRM alors que tous les tests orthopédiques que vous avez effectués pour ces indications se sont révélés négatifs. Les tests orthopédiques (même lorsqu’ils sont regroupés en cluster) et les antécédents cliniques ne sont pas parfaits.

Par ailleurs, appelons un chat un chat – les présentations de cas sont parfois incohérentes d’une séance à l’autre et ne rentrent pas toujours dans une boîte bien ordonnée. Cela peut être très frustrant lorsque les patients présentent ce que j’appelle le « syndrome de la cible mobile », où les symptômes se déplacent et où les tests qui peuvent être douloureux ou non douloureux lors d’une séance peuvent être inversés lors de la séance suivante. Ce problème peut également se poser chez les patients qui présentent de nombreux facteurs psychosociaux et/ou des comportements douloureux et qui, de ce fait, présentent des signes qui ne sont pas physiques.

4) Existe-t-il d’autres obstacles ?

L’une des principales raisons pour lesquelles j’ai vu des patients actifs échouer en kinésithérapie avec d’autres praticiens est le manque d’attention portée à ce qui se fait en dehors de la clinique. Si les douleurs cervicales de vos patients sont aggravées par 10 heures de travail de bureau ou si la tendinopathie des ischio-jambiers de vos patients est aggravée par d’innombrables kilomètres de course à pied, mais que rien n’est dit ou fait pour modifier l’activité, vous et vos patients risquez de vous retrouver au pied du mur sans avoir progressé.

Parfois, les activités ne sont pas modifiables et c’est normal, mais comme nous l’avons dit plus haut, il faut se fixer des objectifs et des délais réalistes et les redéfinir si nécessaire.
Il peut également y avoir une myriade de facteurs de santé physique (diabète, tabagisme, obésité) ainsi que des facteurs psychosociaux. Certaines comorbidités physiques et psychosociales peuvent nécessiter l’intervention d’autres professionnels de santé, en fonction de votre champ de compétence et de votre liberté d’action. Je dis aux patients présentant des pathologies complexes que la kinésithérapie ne peut traiter qu’une partie du gâteau et que c’est la raison pour laquelle je ne peux pas toujours garantir que les patients ne souffriront plus à l’issue de la rééducation.

Je regroupe les facteurs psychologiques, et oui, c’est très simplifié, en deux catégories : ceux qui relèvent du champ d’application de la kinésithérapie et ceux qui n’en relèvent pas (du moins là où je travaille).

 

*Notez que certains de ces éléments peuvent varier en fonction du contexte. Par exemple, la dépression due à l’inactivité causée par la douleur peut certainement entrer dans notre champ d’application, alors que la dépression due à la perte d’un être cher n’entre absolument pas dans notre champ d’application.

Et il peut y avoir des obstacles qui ne peuvent être surmontés. L’un d’entre eux, que j’ai pu observer à l’époque où je m’occupais de dossiers complexes d’indemnisation des accidents du travail, est celui des obstacles liés au lieu de travail. Bien que certaines stratégies soient mises en place pour faciliter le rétablissement et le retour au travail, elles peuvent encore compromettre les résultats thérapeutiques.

Avant de poursuivre, il est également important de noter que, parfois, les patients ne pensent pas toujours à parler ou ne se sentent pas à l’aise pour parler au thérapeute de certains facteurs qui peuvent avoir des répercussions à l’avenir. Un exemple est celui d’une de mes patientes qui souffrait de douleurs au coccyx après son accouchement. Au cours de l’accouchement, il y a eu des complications majeures ainsi qu’un traumatisme physique et psychosocial. Cela ne change pas nécessairement la rééducation effectuée, mais cela peut nécessiter une « réinitialisation des objectifs » ainsi que l’orientation vers des professionnels de santé mentale.

Comme Tim l’explique dans sa Masterclass sur l’interrogatoire clinique, il est important d’acquérir une compréhension très complète de tous les différents facteurs bio-psycho-sociaux qui peuvent contribuer à la situation clinique et à la description d’un patient, car le traitement doit être orienté en fonction de ces facteurs. Par exemple, un protocole de traitement basé essentiellement sur les tissus ne sera pas très efficace pour une patiente qui a d’importants problèmes psychosociaux et d’évitement, ainsi que des facteurs majeurs liés au mode de vie qui contribuent à sa douleur. Si vous constatez que vous n’avancez pas, malgré une bonne observance, il est important de s’assurer que vous n’avez pas oublié certains éléments.

5) Les patients sont parfois des candidats à la chirurgie

Si un patient présente des symptômes qui correspondent à l’imagerie, s’il n’y a pas d’obstacles majeurs à un bon résultat chirurgical et s’il a bénéficié d’une bonne thérapie, je suis favorable à la chirurgie.

6) Et parfois, en toute franchise, la kinésithérapie (même lorsqu’elle est bien faite) ne fonctionne tout simplement pas !

J’espère que ce blog vous a donné quelques conseils utiles pour améliorer votre alliance thérapeutique, l’adhésion des patients et les résultats afin de minimiser le nombre de vos prises en charge qui échouent.

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