Cas clinique sur la sciatique : de la recherche à la pratique
Patiente souffrant de douleurs lombaires avec irradiations le long du membre inférieur. Sensations de picotements.
Diagnostic : sciatique.
Traitement : Repos au lit. Traction. Étirement du piriforme. Exercice d’extension du dos. Puis on répète.
Voici en quoi consistait ma prise en charge pour toute personne qui se présentait à mon cabinet avec une sciatique. Processus que j’ai appliqué pendant bien trop longtemps… Cette approche était insuffisamment centrée sur la personne et a entraîné de mauvaises alliances thérapeutiques et une prise en charge sous-optimale.
Je suis donc passé à autre chose.
Je me suis poussé à explorer le concept de sciatique, les croyances de mes patients sur leur diagnostic et leurs traitements. J’ai aussi cherché à améliorer mes compétences en matière d’évaluation et de prise en charge. J’ai essayé de ne pas voir les patients sous un seul angle et j’ai essayé de faire évoluer ma pratique clinique au-delà d’une prise en charge toute faite et dépourvue d’imagination.
Tout au long de ce cas clinique, je vais vous présenter comment les analyses de la revue Physio Network sur la sciatique m’ont aidé à naviguer dans les eaux troubles de cette pathologie courante, mais pourtant très complexe.
C’est parti !
Sciatique : un terme « fourre-tout » pour nous ou un terme spécifique pour eux ?
Pour les kinés, la sciatique se caractérise par une douleur irradiante vers le genou, qui a pour origine la colonne lombaire. Elle est associée à une sensation altérée et/ou à une faiblesse du membre inférieur. La sciatique est courante, 60 % des patients souffrant de lombalgie présentent des douleurs dans les membres inférieurs (1). Il est difficile pour les kinés de trouver une cause structurelle, car l’origine pourrait être une hernie discale, une compression, une inflammation ou même une tumeur. Parfois, la sciatique est confondue à tort avec le terme de « radiculopathie lombaire ». De nos jours, les kinés devraient savoir que la sciatique est un symptôme et non un diagnostic spécifique (2).
Pour les patients, la sciatique peut être une expérience « globale » avec des symptômes « épuisants physiquement et mentalement » ; beaucoup ont le sentiment que leur situation est minimisée lors de leurs consultations en raison du manque d’explications claires concernant le traitement et le pronostic. Cette incapacité à comprendre toute l’histoire du patient entraîne un manque de confiance et une mauvaise alliance thérapeutique.
L’analyse de Physio Network rédigée par le Dr Tom Walters m’a préparé à comprendre le vécu de ma patiente souffrant de sciatique. Cette revue met en avant l’importance des croyances du patient sur sa maladie et le rôle qu’elles peuvent jouer sur sa réponse au traitement. L’une des raisons pour lesquelles les kinés ne sont pas en mesure d’obtenir les résultats cliniques souhaités pourrait être l’incapacité d’interpréter la compréhension des patients de leur pathologie.
Le cas clinique
La patiente, âgée de 30 ans et employée d’ une entreprise, m’a été envoyée par un chirurgien du dos avec ce diagnostic : lombalgie avec sciatique irradiante dans le membre inférieur droit. Elle a mentionné qu’il y a un mois, elle a tenté de prendre une valise qui se trouvait au sol et c’est à ce moment-là qu’elle a ressenti comme un blocage dans le bas du dos, accompagné d’une douleur atroce. Elle s’est effondrée au sol et n’a pas pu se relever. Elle a appelé son amie pour l’aider à se relever et elles sont allées aux urgences.
Elle a mentionné avoir eu un épisode similaire, toujours au dos, il y a deux ans. Elle avait eu des douleurs invalidantes et n’avait pas pu se lever durant 2 semaines. On lui avait prescrit des analgésiques et lui avait conseillé de rester au lit. Elle n’a pas eu d’autre épisode de ce genre jusqu’à celui-ci.
À ce moment-là de ce nouvel épisode douloureux, elle n’avait aucune douleur à la jambe. Après son admission à l’hôpital, une IRM a été réalisée et on lui a conseillé de subir une microdiscectomie dès le lendemain. Elle a mentionné certaines phrases prononcées par les radiologues et le chirurgien : « votre dos est foutu » et « vous ne pourrez pas gérer la douleur ». On lui a prescrit de fortes doses d’analgésiques et de la kinésithérapie sous forme d’IFT [Interferential therapy = thérapie par courant interférentiel] et de TENS. Son chirurgien n’arrêtait pas d’insister pour qu’elle se fasse opérer en utilisant des mots comme « vous allez être paralysée ».
Finalement, ses parents sont intervenus et se sont prononcés contre l’opération. Après une semaine de repos au lit, de légers étirements et la prise de médicaments, elle a pu se déplacer lentement et ses douleurs lombaires ont commencé à s’améliorer. Son kinésithérapeute lui a conseillé de porter une ceinture lombaire lorsqu’elle est retournée au travail. Elle s’est présentée avec une douleur aigüe et lancinante le long du membre inférieur droit, allant jusqu’au pied, et qui était pire que la douleur du dos. Elle est apparue 3 semaines après le début de l’épisode douloureux et elle cause sa boiterie actuelle.
« Comprendre » la personne (pas seulement le cas clinique)
Avant d’aborder l’évaluation physique, je tiens à souligner que l’analyse de Tom Walter m’a aidé à réfléchir sur ce cas clinique en explorant la compréhension de la patiente sur la sciatique. J’ai exploré plus en détail les croyances de ma patient selon les quatre thèmes principaux énoncés dans l’analyse de Tom.
Elle a mentionné son expérience de la maladie comme étant « paralysante et invalidante ». Elle se sentait « isolée », car elle n’était pas capable de faire les choses qu’elle aimait et les paroles du chirurgien lui ont créé un fort sentiment de peur. Elle faisait des cauchemars et se réveillait avec de la douleur. Elle a remarqué qu’elle devenait plus irritable et elle se sentait déprimée. Elle s’est forgée une idée du concept de sciatique par le biais de ses lectures sur Google et elle croyait que « le nerf était comprimé » et « qu’il ne pouvait pas reprendre sa forme d’origine ». Elle croyait que si la compression s’arrêtait, sa douleur disparaîtrait.
En termes de croyances relatives à son traitement, elle pense qu’elle devra se faire opérer un jour ou l’autre, car les exercices ne changeront probablement rien pour la compression et c’est la chirurgie qui pourra la « réparer ». Elle a arrêté de marcher et de faire du jogging, et elle a estimé que le massage ayurvédique et la phytothérapie étaient utiles. Elle ne voulait pas continuer à prendre des médicaments. Elle souhaitait des informations crédibles et accordait de l’importance dans le fait de recevoir des explications claires sur son pronostic. Elle a mentionné que ce que son médecin lui avait dit correspondait exactement ce qu’elle avait lu sur Google : elle s’inquiétait donc de sa crédibilité.
Toutes ces informations m’ont aidé à mieux appréhender cette rencontre clinique en comprenant mieux comment aborder et prendre en charge cette « personne atteinte de sciatique ». L’analyse de Physio Network indique que :
« Dans de nombreux cas, la douleur radiculaire n’est pas liée à la compression nerveuse mécanique et peut s’améliorer sans intervention mécanique, telle que la chirurgie. »
Parallèlement, j’ai pris le temps de lui expliquer le rôle potentiel que l’inflammation / la sensibilisation neurale pouvait avoir sur son expérience douloureuse. J’ai validé son expérience de la douleur et elle était reconnaissante pour les explications crédibles que je lui ai données. Elle a mentionné qu’elle « s’est sentie écoutée et prise au sérieux » et que cela « l’a rassurée ». Elle avait le sentiment que se sentir écoutée faisait partie de son processus de guérison. Cela a aidé à donner le bon ton dès le début, avant de commencer toute évaluation ou traitement.
Évaluation et diagnostic : plus de conjectures
Différencier la sciatique des autres symptômes radiculaires n’est pas chose facile, car les caractéristiques cliniques sont très variables dans la pratique (3). L’analyse de Mary O’ Keeffe s’est concentrée sur la distinction de trois sous-ensembles d’atteintes des racines nerveuses : la sciatique (douleur radiculaire), la radiculopathie et la sténose du canal lombaire. Cela a rendu le diagnostic différentiel beaucoup moins complexe.
La patiente se plaignait de douleurs aux jambes qui étaient significativement plus importantes que ses douleurs au dos. Les extensions répétées en position debout augmentaient ses symptômes. Elle a signalé une augmentation progressive des symptômes au cours des 3 dernières semaines, la douleur étant de 9/10 au pire et de 3/10 au mieux. Les activités aggravantes comprenaient la position assise pendant plusieurs heures, soulever des objets lourds et la rotation. Les activités soulageantes comprenaient des étirements en position couchée, jambes en crochet, et se pencher en avant pour s’étirer.
Elle a rapporté des douleurs allant jusqu’au pied droit lors du test de Lasègue côté droit à 40°, et un étirement postérieur de la cuisse gauche à 70°. L’évaluation des fonctions neuromotrices supérieures (Babinski, test du clonus de la cheville, signe de Hoffmann) n’a rien révélé d’anormal. Les pathologies graves (cancer, syndrome de la queue de cheval) ont été exclues. Il n’y avait pas d’engourdissement. La douleur s’intensifiait avec la toux ou l’éternuement, et l’emplacement de la douleur concordait au territoire d’un dermatome ainsi qu’à la diminution du réflexe achilléen droit. Le test de Léri et le test de Lasègue croisé étaient positifs et la distance doigts-sol était de 30 cm. À la palpation de la région du piriforme et de l’EIPS droite, elle a signalé une légère sensibilité. Son score sur l’Oswestry Disability Index (ODI) était de 42 %, indiquant une incapacité importante.
L’analyse de la Dre Sarah Haag m’a fait prendre conscience des recommandations de pratique clinique conseillant d’utiliser une combinaison d’anamnèse, d’un cluster de tests physiques et de l’outil de dépistage StEP [StEP screening tool] pour leur utilité clinique afin d’identifier la douleur neuropathique dans les douleurs lombaires liées aux membres inférieurs (LBLP). Les 8 éléments /signes à rechercher parmi les antécédents du patient ou lors de l’examen clinique sont (4) :
- L’âge
- La durée de la maladie
- La douleur paroxystique
- Une douleur plus importante dans la jambe que dans le dos
- Une distribution dermatomale typique
- Une aggravation lors de la toux/l’éternuement/l’effort
- La distance doigts-sol
- Une parésie
Après recueil des informations ci-dessus, j’ai pu identifier qu’il y avait une douleur neuropathique avec une LBLP chez ma patiente, ce qui m’a directement permis de fournir des soins plus efficaces.
Le rôle de l’imagerie
La patiente a demandé si elle avait besoin de passer une autre IRM, car elle avait peur qu’une intervention chirurgicale rapide soit nécessaire pour « retirer la compression ». L’analyse de Mary O’Keeffe mentionne que la plupart des patients atteints de syndromes radiculaires n’ont pas besoin d’imagerie diagnostique immédiatement. Même avec cette évolution clinique, on lui a recommandé de passer une IRM. Il était important pour moi de faire correspondre les résultats de l’imagerie avec les symptômes avant d’aller plus loin.
Prise en charge
Il s’agissait d’un cas difficile à gérer dès le départ compte tenu de la forte intensité de la douleur, de son retentissement psychologique ainsi que des niveaux d’incapacité fonctionnelle et des croyances néfastes propagées par les professionnels de santé. La lecture des revues de recherche mentionnées précédemment m’a permis d’établir une excellente base de raisonnement et m’a fourni une compréhension utile des preuves actuelles pour prendre en charge cette patiente de manière optimale.
L’analyse de Tom Walter m’a aidé à mieux appréhender l’intérêt de chercher à comprendre « l’expérience de la maladie » vécue par la patiente et m’a permis d’établir une alliance thérapeutique et une confiance solides (5). Écouter, éduquer, valider, comprendre ses croyances associés à un examen physique approfondi ont contribué à de meilleurs résultats cliniques.
Pour préciser le contexte : les séances ont eu lieu deux fois par semaine pendant six semaines.
Éducation / Pronostic
L’analyse de Mary O’Keeffe mentionne que le pronostic est normalement favorable dans la plupart des cas de sciatique. La douleur s’atténue d’elle-même avec le temps. Le traitement de première intention devrait consister à rassurer, prodiguer des conseils pour rester actif et reprendre les activités quand cela est possible ainsi que la mise en place d’une thérapie par l’exercice.
Après avoir lu cette revue, j’ai pu expliquer la nature et le pronostic de la sciatique. J’ai discuté de la nécessité de l’imagerie et de son inefficacité quant à la détermination des soins conservateurs et du pronostic. J’ai pu ainsi dissiper certaines craintes. J’ai pu la conseiller sur la sciatique en tant que symptôme, ses options de traitement et la réduction des facteurs de risque modifiables (tabagisme et manque de mouvement). Des attentes réalistes ont été fixées après discussion du pronostic. Il a fallu du temps pour la convaincre que la chirurgie n’était pas sa seule option.
Fixer des objectifs
Elle voulait redevenir active et pouvoir faire son travail. Par conséquent, rester active était considéré comme l’objectif principal. Plutôt que des exercices génériques, je lui ai conseillé de se lancer lentement dans les activités physiques qu’elle aime le plus faire. La marche était son activité préférée et nous avons décidé d’essayer cela lentement avec une thérapie par l’exercice. Nous avons fixé de petits objectifs en termes de minutes de marche et avons lentement modifié l’intensité au fur et à mesure qu’elle se sentait mieux et plus confiante. La peinture était quelque chose qui la détendait, alors nous avons lentement intégré cela dans sa stratégie de soulagement du stress.
Thérapie par l’exercice
L’analyse de la Dre Sarah Haag indique qu’il n’existe pas d’intervention plus efficace qu’une autre pour les lombalgies associées à une radiculopathie. Des exercices visant à améliorer le contrôle moteur, le renforcement musculaire dynamique et les exercices de préférence directionnelle ainsi que la mobilisation neurodynamique ont été inclus dans le programme de rééducation. Cette étude indique également qu’il n’y a aucun avantage sur l’intensité de la douleur, l’état fonctionnel ou la reprise du travail à utiliser la traction seule ou en combinaison avec d’autres traitements.
Cette analyse a montré que l’ajout de la mobilisation neurodynamique aux exercices de contrôle moteur peut entraîner une diminution plus importante des symptômes (6). La patiente s’est rendu compte que les exercices étaient sans danger pour elle et elle recommençait à aimer « rester active ». Elle a mentionné que les exercices de glissements neurodynamiques « ont bien fonctionné pour elle » si bien qu’ils sont suffisants pour gérer la douleur.
Suivi
La patiente a rapporté une diminution de la douleur à 5/10 à la 3e séance et apprécie le fait qu’elle peut marcher davantage. Elle a arrêté de prendre des médicaments et a pu s’asseoir et peindre pendant 20 minutes à la 4e séance. À la 7e séance, elle a signalé une douleur à 2/10 au membre inférieur et était autonome dans ses exercices. Elle a mentionné que même si les symptômes n’ont pas complètement disparu, elle pouvait voir qu’elle avait fait beaucoup de progrès et trouvait que la stratégie de rééducation avait du sens pour elle.
À la 15e séance, ses amplitudes actives du dos étaient complètes et indolores, et son test de Lasègue droit s’est amélioré et a atteint 70°. Elle pouvait marcher 5 km sans douleur à la 16e séance et a pu s’asseoir au travail sans douleur. Son score ODI a changé de manière significative, passant d’une incapacité grave (42 %) à aucune incapacité (0 %). À 6 mois de suivi, elle n’avait toujours pas de douleur à la jambe et elle restait toujours active physiquement, travaillait et voyageait.
Conclusion
La sciatique peut être difficile à traiter au cabinet. Après un an, seulement 55 % des patients en soins primaires ont signalé une amélioration supérieure à 30 % (7). La complexité de la lombalgie, le manque de compréhension des croyances des patients, la connaissance limitée du diagnostic, l’absence de
« meilleure » intervention, l’absence de catégorisation efficace des patients selon des sous-groupes, la confusion dans l’utilisation de la terminologie et l’échec de la mise en œuvre des recommandations de pratique clinique laissent souvent les kinésithérapeutes hésitants quant à la manière d’aborder ces présentations cliniques (8). Cela entraîne des tensions dans les dialogues entre kinés et patients. Les patients sont désespérés et découragés face à des kinés qui ne comprennent pas l’impact de la sciatique sur leur vie et leur identité (9).
Les analyses de la recherche de Physio Network résument les données les plus récentes pour les kinésithérapeutes, afin de mettre en évidence les moyens optimaux d’identifier et de prendre en charge les patients atteints de différentes pathologies. Si vous avez réussi à venir à bout de ce blog et que vous avez cliqué sur tous les liens en cours de route, il ne vous reste plus qu’une chose à faire :
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