Lombalgie « spécifique » : la structure n’est pas la cause… enfin peut-être que si !

9 mins de lecture. Posté dans Lombaire
Un article de Paul Ingraham info

Le terme médical pour désigner une lombalgie sans cause spécifique est le suivant : « lombalgie commune ». On l’utilise lorsqu’on veut simplement dire qu’ « il s’agit d’un mal de dos ». C’est presque comme dire « lombalgie non diagnostiquée » ou « inexpliquée »… Pourquoi ne pas simplement utiliser ces termes ? La raison demeure bien floue.

Ce terme « commune » est étrange. Ce n’est pas le cas pour les autres pathologies ; il n’y a pas de céphalées communes, par exemple. Un mal de tête sans diagnostic spécifique est traditionnellement appelé une céphalée « de tension », ce qui est encore pire, car cela suppose une cause, qui est probablement erronée. Imaginez si nous appelions toutes les lombalgies communes « lombalgies de tension ».

La lombalgie chronique est souvent classée comme non spécifique : c’est-à-dire qu’aucune cause organique de la douleur ne peut être identifiée. Cela arrive souvent… officiellement, en tout cas. La plupart des gens n’entendront jamais le non-diagnostic de lombalgie « commune » de la part d’un médecin ou d’un kinésithérapeute, bien que ces professionnels de santé utilisent le terme dans le but de gérer les attentes et d’éduquer les patients. Mais la plupart du temps, cela se limite aux discussions sur la lombalgie en général, dans les articles scientifiques et les discussions entre collègues, formelles et abstraites.

La plupart des diagnostics de lombalgie dans le monde réel tentent d’être spécifiques… et se trompent.

 

Le diagnostic « spécifique » est à la fois courant et erroné (et même pas vraiment très spécifique)

Les lombalgies sont souvent imputées prématurément et excessivement, mais incorrectement à une cause spécifique – un peu comme l’hypothèse selon laquelle un mal de tête non diagnostiqué est causé par la « tension », alors que nous ne savons même pas avec certitude que la tension peut expliquer tout mal de tête, et qu’il existe de nombreuses autres causes connues. Voici trois exemples courants :

  1. De nombreux professionnels ne cessent d’affirmer, avec une intensité et une véhémence variables, que les lombalgies non diagnostiquées sont d’une certaine manière « dégénératives ». C’est l’hypothèse problématique sur laquelle je me suis principalement concentré jusqu’à présent dans ce livre.
  2. L’explication spécifique la plus populaire pour les lombalgies chez les patients est probablement le « spasme », qui est plus ou moins exactement la même chose que d’attribuer les maux de tête à la tension. Ce n’est pas particulièrement « spécifique », mais c’est certainement plus spécifique que « pas d’indice du tout ». C’est une idée ! C’est un mécanisme hypothétique spécifique de la douleur. Et on ne saurait trop insister sur la facilité avec laquelle les gens le prennent au sérieux comme explication d’un nouvel épisode de lombalgie. J’ai personnellement entendu des gens attribuer des lombalgies à des spasmes au moins plusieurs centaines de fois au cours de ma carrière.
  3. Et puis il y a une explication spécifique appréciée plus ou moins également par les patients et les professionnels : l’hypothèse d’une blessure – autrement dit qu’un stress physique relativement inoffensif est le coupable. Pour une explication spécifique, ce n’est pas très spécifique : quelle structure anatomique a été blessée et comment ; souvent ce diagnostic spécifique ne le précise pas. « Quelque chose dans la colonne vertébrale a été touché d’une manière ou d’une autre » est une formule équivoque ; le terme « disque écrasé » est utilisé, car c’est la seule blessure spécifique dont beaucoup de gens ont entendu parler.

Toutes ces choses sont des explications spécifiques possibles pour les lombalgies, mais aucune n’est une hypothèse sûre, loin de là.

Cette hypothèse dangereuse a un jumeau maléfique : l’hypothèse tout aussi dangereuse qu’il n’y a pas de cause spécifique, qui est impliquée par l’étiquette « lombalgie commune ». Trop de gens (principalement des cliniciens) supposent avec une confiance excessive qu’aucune cause spécifique n’existe réellement – ou qu’elle est si parfaitement inconnaissable qu’elle pourrait tout aussi bien ne pas exister.

 

Le revers de la médaille : ce n’est pas parce que nous ne connaissons généralement pas le diagnostic spécifique (ou qu’on donne le mauvais) qu’il n’existe pas !

… la discopathie dégénérative est une cause sous-estimée de lombalgie chronique par les cliniciens, les patients et la société.
Rustenburgt al, 2018, JOR Spine

Parfois, la structure compte vraiment. J’ai fait couler beaucoup « d’encre » dans ce livre sur le besoin urgent de renoncer à l’idée omniprésente selon laquelle la lombalgie est un problème structurel (en particulier la discopathie dégénérative). J’ai démontré que les causes spécifiques et structurelles des lombalgies sont exagérées, mais pas inexistantes. Comme les crimes violents, ils sont beaucoup moins fréquents que ce que l’actualité nous dépeint, mais ils se produisent quand même.

En 2015, un doublet parfait d’articles rédigés par les mêmes chercheurs ont poussé dans les deux sens sur ce sujet : l’un s’éloignant des explications mécaniques… l’autre allant droit vers elles. Le premier a été cité ci-dessus (ainsi que de nombreux autres similaires) : Brinjikjiet al ont examiné de nombreuses images IRM de la colonne vertébrale et ont présenté des preuves de la présence de signes de dégénérescence vertébrale à des pourcentages incroyablement élevés chez des personnes en bonne santé sans aucun problème. Bon à savoir. C’est l’un des meilleurs articles de ce genre, soulignant l’étrange déconnexion entre les lombalgies et la dégénérescence vertébrale.

Mais Brinjikjiet al ne se sont pas arrêtés là ! Leur deuxième article a présenté des preuves que les caractéristiques dégénératives visibles à l’IRM sont néanmoins « plus répandues chez les adultes de 50 ans ou ceux plus jeunes souffrant de lombalgie, par rapport aux personnes asymptomatiques ».

Bon à savoir également !

Ces articles ne sont pas vraiment en désaccord. Le message à retenir est un compromis agréable, raisonnable et évident : les changements dégénératifs importent moins que de nombreux patients et professionnels ne le supposent encore, et ne constituent pas une base adéquate pour de nombreux traitements populaires… mais ils ont toujours leur importance.

Ça ne surprend probablement personne !

Fait important, Brinjikji et al ont également montré que la déconnexion entre la structure et la douleur est beaucoup moins frappante pour certains types de problèmes que pour d’autres. La luxation d’une articulation intervertébrale (spondylolisthésis) est rarement asymptomatique ! Certains cas le sont, et c’est fascinant. Mais pas la plupart. 60 % des personnes ayant un bombement discal à 50 ans ne présentent aucun symptôme, mais seulement 14 % des personnes de 50 ans atteintes de spondylolisthésis ne ressentent aucune douleur. Il est étonnant que n’importe qui puisse avoir une articulation vertébrale luxée et se sentir bien, mais 85 % ont des symptômes.

Ainsi, trancher sur l’importance de la structure va dépendre de la situation. Certains problèmes de colonne vertébrale sont plus importants que d’autres. Certains d’entre eux sont pires que d’autres. Rien d’étonnant me direz-vous !

 

Névrome : un exemple très précis d’une cause très précise de lombalgie

🎶 M-m-m-mon névrome

🎶 M-m-m-mon névrome

🎶 M-m-m-mon névrome

🎶 M-m-m-mon névrome

Ohhhhh mon névrome

Ohhhhh mon névrome

Ohhhhh mon névrome

 

Les sources évidentes de douleur aiguë et/ou inquiétante telles que les infections, les anévrismes, les tumeurs, les fractures et les maladies inflammatoires sont toutes des causes de certaines lombalgies, mais elles ne présentent pas beaucoup d’intérêt ici car elles sont si graves (et souvent progressives) qu’elles sont pour la plupart diagnostiquées. Ce sont le genre de choses qui sont généralement qualifiées de lombalgies « spécifiques ».

Mais qu’en est-il des problèmes spécifiques qui ont tendance à s’éterniser et à ne jamais être diagnostiqués ? Bien sûr, il existe également des causes spécifiques de lombalgie chronique qui passent inaperçues ? Évidemment, il y en a. La seule vraie question est : à quelle fréquence cela se produit-il ? Personne ne le sait vraiment.

Un de mes amis – appelons-le Alex – a souffert pendant environ cinq ans d’une aggravation lente mais constante d’une lombalgie avant qu’une toute petite tumeur ne soit finalement découverte : elle était « bénigne », mais elle se développait sur un nerf dans son dos (un « névrome »), et cela l’avait presque détruit. Les névromes sont des tumeurs, mais ils ne sont pas du genre à vous tuer… ils vous rendent simplement malheureux. Mon ami avait abandonné le sport qu’il adorait, l’ultimate. C’est de là que je le connais ; nous avions joué ensemble pendant des années dans une équipe appelée AfternoonDelight. (Anecdote amusante : le symbole de notre équipe était un duo de licornes bossues.)

Dans ces pires moments, Alex pouvait à peine marcher. Finalement, après une chirurgie de routine, il a entièrement guéri, juste comme ça. Boum. Spécifique au possible.

Alex avait vu beaucoup, beaucoup de professionnels de santé qui n’avaient pas réussi à diagnostiquer le véritable problème, avaient baissé les bras et avaient tout attribué à une lombalgie commune. Je le sais, car j’étais l’un de ces professionnels de santé. (2)

Avant le diagnostic, la « sensibilisation centrale » était une option diagnostique majeure, un pseudo-diagnostic classique qui signifie que le problème est une fausse alerte. Bien qu’Alex souffrît probablement du phénomène de sensibilisation, il s’agissait probablement d’un trouble secondaire, une complication de la véritable source d’irritation grave dans son dos.

Un chiropracteur a finalement suggéré le bon type d’imagerie vertébrale, qui a facilement identifié le névrome. Une fois que tout le monde a su que c’était là, ce fut la fin de toutes les discussions sur l’étrangeté et l’impasse de la lombalgie chronique ! Il avait juste besoin d’une intervention chirurgicale pour retirer un petit bout de tissu indésirable d’une racine nerveuse. Et cette chirurgie a fonctionné immédiatement et de façon permanente.

C’est probablement l’exemple le plus clair dont je dispose d’une cause spécifique de lombalgie. L’exemple suivant est également assez bon, mais il n’est pas aussi tranché.

Cet article est un extrait abrégé du livre électronique « The Complete Guide to Low Back Pain », par Paul Ingraham de PainScience.com.

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