Le core training en rééducation : faits, erreurs et orientations futures
Au cours des deux dernières décennies, l’une des formes d’exercice les plus populaires dans le domaine de la santé et du fitness est le core stability training [renforcement de la stabilité profonde du tronc]. Alors que la mode commence lentement à s’estomper, vous pouvez toujours vous rendre dans de nombreux cabinets de kinés et entendre des consignes telles que ‘rentrez bien votre nombril en faisant vos exercices’.
Je dois avouer qu’en tant qu’ancien étudiant et ami actuel de M. McGill, tout le concept de stabilité profonde (en particulier l’accent mis sur le transverse / le multifide) a été pour moi une source d’irritation constante pendant de nombreuses années.
Alors, quand est-ce que tout cela a commencé ? Quand avons-nous pris la mauvaise direction ? C’est ce que je vais vous expliquer dans cet article.
Avant de commencer, j’aimerais donner une définition de la stabilité, car ce terme a différentes significations selon les personnes. En effet, il renvoie à différentes notions : contrôle du mouvement, équilibre, raideur ou absence de mouvement, et stabilité structurelle. Voici la définition de la stabilité selon le dictionnaire Webster :
« 1 : Qualité, état ou degré de ce qui est stable, notamment :
a : Force pour tenir debout, supporter : fermeté
b : Propriété d’un corps qui, lorsqu’il est perturbé par un état de déséquilibre ou de mouvement constant, développe des forces ou des moments de force qui rétablissent l’état d’origine
c : résistance aux modifications chimiques ou à la désintégration physique »
ORIGINES DE LA CORE STABILITY – PANJABI
Au début des années 1990, un chercheur du nom de Panjabi a défini pour la première fois le concept de zone neutre comme « une amplitude de mouvement intervertébral autour de la posture neutre avec peu de résistance de la colonne vertébrale passive1,2 ».
Panjabi a proposé qu’une zone neutre plus petite signifiait qu’une articulation était plus stable. Panjabi a décrit 3 contributeurs à la stabilité vertébrale….
- Un sous-système actif : les muscles spinaux
- Un sous-système passif : la colonne vertébrale
- Un sous-système de contrôle : le système neural 1,2
LA RECHERCHE AUSTRALIENNE SUR L’INNER CORE
Du milieu à la fin des années 1990, Paul Hodges, Carolyn Richardson et d’autres chercheurs ont comparé des personnes avec et sans lombalgie pour voir à quelle vitesse leurs muscles profonds du tronc [core muscles] s’activaient en réponse à divers mouvements des bras et des jambes. Ce qu’ils ont découvert, c’est que les muscles transverse et multifide étaient plus lents à s’activer chez les personnes atteintes de lombalgie par rapport aux personnes sans lombalgie. Aucun autre muscle ne s’est activé différemment entre les groupes3.
Ces études ont créé l’idée qu’il existe un inner core [noyau musculaire profond et interne] composé du transverse, du multifide et du plancher pelvien qui se contracte indépendamment du outer core [couche musculaire externe]. On pensait que le transverse augmentait la stabilité de la colonne vertébrale grâce à son insertion sur le fascia thoraco-lombaire. Rentrer le ventre ou réaliser un creusement abdominal co-contracte le transverse et le multifide et augmente la pression intra-abdominale3.
Une étude réalisée en 1997 par Peter O’Sullivan et al a montré que les exercices de core stability amélioraient les résultats chez les personnes atteintes de spondylolisthésis comparativement au traitement du médecin généraliste4. Hides et al ont montré que le renforcement de l’inner core diminuait le risque de développer des douleurs lombaires5.
C’est ainsi qu’on a cru que les problèmes de transverse et de multifide étaient la cause de la lombalgie ; ainsi toute personne atteinte de lombalgie avait besoin d’exercices de stabilité du tronc et les muscles de l’inner core étaient les muscles les plus importants pour la stabilité de la colonne vertébrale et la santé du bas du dos. Boom !! Une nouvelle tendance est née. Les exercices de core stability constituent toujours l’intervention la plus prescrite pour la lombalgie.
Les personnes citant la recherche ont tendance à négliger une chose, c’est que la recherche de Hodges et al était transversale. Par conséquent, nous ne pouvons pas dire si les retards d’activation des muscles profonds sont une cause ou une conséquence de la douleur. La douleur peut affecter l’activité musculaire, et, la recherche prospective n’a pas trouvé d’association entre la fonction initiale du transverse et l’apparition d’une lombalgie6.
De plus, le délai moyen d’activation musculaire était de 20 à 50 ms dans toutes les études, ce qui est négligeable. Certains chercheurs ont remis en question la légitimité de la mesure sur les multifides par l’EMG de surface, car il existe une possible diaphonie [crosstalk] provenant des érecteurs du rachis. De plus, certaines recherches ont montré des retards d’activation d’autres muscles profonds chez les personnes atteintes de lombalgie7.
STUART MCGILL ET L’APPROCHE GLOBALE
En 2003, McGill et al ont mesuré le rôle de chaque muscle dans la stabilité de la colonne vertébrale et ont constaté que chaque muscle contribuait de manière assez égale à la stabilité de la colonne vertébrale dans diverses tâches8. Ses recherches ont également montré que l’entraînement diminuait l’activité des muscles des couches externes et, par conséquent, supprimait de nombreux muscles stabilisateurs de l’équation9.
En revanche, le ‘gainage’ (ou raidissement de tous les muscles de votre tronc) contracte tous les muscles, et il a été démontré qu’il augmente l’activité du transverse et du multifide, augmente la stabilité de la colonne vertébrale et augmente la capacité à réagir aux perturbations en comparaison avec l’action de rentrer le nombril/le ventre9. Une étude récente a révélé l’efficacité des exercices de gainage pour les lombalgies10.
Remarque complémentaire : certaines études qui prétendent utiliser le gainage utilisent en fait l’aspiration du nombril.
Cependant, la plupart des tâches (y compris soulever jusqu’à 70lbs ≈ 30 kg) nécessitent une contraction volontaire maximale de 4 à 8 % des muscles profonds pour obtenir une stabilité vertébrale suffisante. Ce niveau d’activité des muscles profonds peut être généré naturellement et de manière réflexe, sans gainage, sauf si vous souffrez d’une lésion de la moelle épinière ou d’une autre affection neurologique9.
Le gainage augmente les forces de compression sur la colonne lombaire11 et il peut donc être approprié pour les tâches à charge plus élevée (c’est-à-dire le renforcement musculaire avec charges élevées), mais il est « exagéré » pour les tâches quotidiennes.
SCIENCE DE LA DOULEUR ET APPROCHE BIOPSYCHOSOCIALE
Grâce aux travaux de chercheurs tels que Peter O’Sullivan, Kieran O’Sullivan et d’autres, nous connaissons le lien entre les facteurs psychosociaux et la lombalgie.
Une multitude de facteurs psychosociaux sont associés à la transition d’une lombalgie aigüe à une lombalgie chronique, notamment le stress, l’anxiété, la dépression, l’hypervigilance, la peur-évitement, la kinésiophobie et la catastrophisation12,13.
Quelques études ont également montré que certaines personnes souffrant de lombalgie chronique présentaient une hyperactivité de leurs muscles profonds. L’idée que la colonne lombaire est instable peut être à l’origine de ces croyances et comportements inadaptés et peut inciter à se concentrer davantage sur la protection de la colonne vertébrale12,13.
RECHERCHE RÉCENTE
Des études menées en 2012 et 2014 ont montré que les exercices de core stability n’étaient pas supérieurs aux exercices généraux pour améliorer les résultats14,15. Une chose importante à noter est que les protocoles d’exercices généraux dans de nombreuses études incluaient souvent des exercices généraux basiques (c’est-à-dire des exercices de planche, des birddogs/superman à 4 pattes, etc.). Une étude de 2017 a montré que les exercices de core stability donnaient de meilleurs résultats à 3 mois par rapport aux exercices généraux, mais aucune mesure n’a été effectuée à 6 et 12 mois, et une étude de 2018 a montré que les exercices de core stability étaient plus efficaces que les exercices généraux16,18.
Une revue systématique de 2013 n’a trouvé aucune corrélation entre les changements d’activation du transverse et du multifide et les résultats cliniques chez les personnes atteintes de lombalgie6. Un article de 2017 a montré que la stabilité de la colonne vertébrale chez les personnes souffrant de maux de dos ne changeait pas de manière significative après avoir effectué un programme de contrôle moteur ou un programme d’exercice général17.
LES IMPLICATIONS PRATIQUES
En soi, les exercices basiques ne sont pas nécessairement mauvais – cela dépend simplement de la façon dont ils sont « vendus ». S’ils sont utilisés comme moyen de faire bouger et de faire des exercices tolérés par l’individu (en supposant qu’ils soient bien tolérés), alors ce n’est pas un problème. Si vous dites « vous devez faire travailler votre musculature profonde pour garder votre colonne vertébrale stable », il est quasi certain que vous produisez un effet nocebo.
Rentrer le nombril (c’est-à-dire lorsque vous êtes allongé sur le dos et que vous soulevez vos jambes / bras) est acceptable, mais n’est pas conseillé lors d’exercices avancés pour la musculature profonde, des port de charges lourdes ou des exercices d’équilibre.
Pour résumer ce long article :
- L’activité musculaire profonde peut être altérée chez les personnes atteintes de lombalgie, mais sa pertinence pour la stabilité de la colonne vertébrale et la lombalgie est discutable.
- Le transverse et le multifide ne sont pas plus importants pour la stabilité du tronc que les autres muscles.
- Les exercices se concentrant sur le transverse et les multifides n’ont pas donné de meilleurs résultats que les exercices généraux dans le cadre de la lombalgie.
- Faire des exercices visant à rentrer le nombril, losque c’est réalisé de manière isolée, est acceptable, mais ce n’est pas conseillé lors d’exercices avancés de la musculature profonde, des ports de charges lourdes ou des exercices d’équilibre.
- Le gainage est approprié lorsqu’une stabilité supplémentaire est nécessaire (c.-à-d. soulever des charges lourdes) mais ne doit pas être utilisé pour les tâches quotidiennes.
- La croyance selon laquelle la colonne vertébrale serait « instable » peut (en théorie) provoquer peur-évitement, hypervigilance et sidération, des problèmes qui sont tous associés aux lombalgies chroniques.
Ce billet de blog était initialement publié sur le site Web d’Eric Bowman. Vous pouvez cliquer ici pour lire d’autres blogs du même auteur.
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